Roman Pages de 11 à 20
Roman Norbert et Tonia Page de 11 à 20
Page 11 . Chapitre 1
Malheureusement, il y eut entre eux, cette comtesse malade qui gâcha ce grand amour qui ne
pouvait s'épanouir comme elle le désirait. En attendant des jours meilleurs, le Comte demanda à sa
bien-aimée femme de compagnie de se marier avec un jeune homme qui travaillait à l'entretien du
château. Ce châtelain frustré désirait voir des enfants courir et s'amuser sur son grand domaine.
Résignée et déçue, elle accepta la proposition de l'homme qu'elle aimait.
Elle obéit en espérant que bientôt la comtesse malade quitterait ce monde, et qu'une fois débarrassée
de cette rivale encombrante, elle abandonnerait ce mari dont elle ne désirait conserver toute sa vie.
La guerre arriva, et les allemands envahirent la France. Cette guerre allait peut-être mettre fin à son
mariage non désiré, car elle espérait ardemment que son mari se ferait certainement tuer par des
soldats en période d'occupation. Des officiers de la haute noblesse allemande s'installèrent au
château, où ils en occupèrent une petite partie seulement.
En 1942, la Comtesse mourut, et aussitôt le comte sombra dans un profond chagrin, il s'enferma
dans sa chambre durant deux longues années. En 1943, ma mère le sortit de sa profonde détresse et
le consola de la mort de sa bien-aimée. C'est dans cette période que je fus conçu. A la fin de la
guerre, ma mère se retrouva souvent seule avec les enfants que son indésirable mari lui avait fait. Il
l'abandonnait fréquemment pour rejoindre dans les bois des membres d'un réseau de la résistance.
Elle comprit très vite qu'elle allait enfin pouvoir se débarrasser de lui, en le faisant livrer à l'armée
d'occupation.
Mais de cette ignoble lâcheté, elle ne voulut pas en assumer seule la responsabilité,
car elle pensait qu'une mère honnête ne pouvait pas dénoncer son mari résistant aux Allemands.
Mais le comte, lui, ne risquait rien, donc il pouvait dénoncer son domestique aux officiers
allemands qui occupaient son château. Ma mère le supplia à maintes reprises, afin que son mariage
sans amour soit rompu avec ce mari qu'elle méprisait, et qui lui faisait des enfants qu'elle ne désirait
pas.
Mais cette dénonciation honteuse et tant attendu, ne vint jamais car le comte ne put se prêter à cette
ignoble délation. Je vins au monde, en 1944, quand les Américains arrivèrent pour débarrasser la
France de l'occupation allemande. La guerre se termina et le beau rêve de ma mère s'éteignit pour
toujours.
Mes parents quittèrent le château des trois fontaines et vinrent s'installer dans cette maison délabrée,
où ils y firent beaucoup d'autres enfants. Et ce fut la fin de l'histoire de la vie de mes parents, car je
ne désirais pas en savoir davantage. Avant de partir, ma mère me déclara qu'à ma majorité je
pourrais peut-être devenir l'héritier de la fortune du châtelain. Mais elle rendrait cet héritage
impossible parce que le comte avait refusé de livrer aux allemands cet homme méprisable qu'il lui
fit épouser en lui disant que le temps finirait par arranger les choses.
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Elle pouvait faire cela, tout simplement en allant chez le notaire avec les papiers que lui avait remis
le comte après la mort de son mari. Mais elle m'avoua sèchement que cette affaire d'héritage, elle
désirait uniquement la régler avec le frère du comte. Personne au village ne devait savoir qu'elle
avait eu une liaison amoureuse avec le comte de Monchavet, et qu'un
enfant naquit de cet adultère réprouvé par l'église.
Après cet entretien, je compris que cette femme qui m'avait mis au monde ne voulait pas que je
porte le noble nom de l'homme qu'elle avait aimé. Elle se vengeait du fait que ce mariage tant
désiré, si souvent promis et qui ne se fit jamais. Cette révélation me mortifia et me précipita
violemment au-delà de l'univers de mon père. Je ne pourrais plus
parcourir l'immense domaine du château des Trois fontaines en me disant qu'enfin, j'en étais devenu
le maître.
J'eus l'impression que ma mère me précipita du haut d'une falaise, et mon corps d'enfant se disloqua
en échouant sur une plage parsemée de galets. Pour m'accabler d'avantage, elle m' ordonna de
quitter immédiatement sa maison. Je dus partir chez son oncle qui était paysan et cultivait quelques
hectares de plans de fraisiers. Pour cette mère âpre et acariâtre, je n'étais qu'une vilaine petite chose
qui n'aurait jamais due voir le jour. Je n'avais été pour ma mère qu'une source de malheur, et je lui
avais brisé son rêve.
Anéanti et brisé par ce que je venais d'entendre, je la quittais sans regret. Elle me chassa
violemment. Mais avant de me rendre à la ferme de mon oncle, je sentis le besoin de me recueillir
sur la tombe de mon beau papa et de sa bien aimée comtesse de Monchavet. Quand le gardien du
château me vit accablé de tristesse, il comprit qu'il devait me laisser seul. Je me suis allongé près de
la tombe du comte et personne ne vint me déranger.
. Quand la nuit fut venue, mon corps se contracta violemment et se tordit de douleur, je me mis à
hurler comme un jeune loup, tout comme mon beau papa m' avait appris à le faire. En hurlant à la
mort, il me sembla que mon âme se mélangea à celle des deux disparus et que je pus les rejoindre
dans leur sommeil éternel. Mes hurlements firent sortir de mon corps des flots de souffrances, et
ceux-ci se répandirent sur cet immense domaine et sur mon paradis perdu.
Je compris que jamais je ne porterais le noble nom de mon beau papa, mais je pensais que chaque
nuit l'on devrait entendre dans ce lieu et à des kilomètres à la ronde, mon hurlement de jeune loup.
Ce domaine est le mien pour l'éternité, même si cela ne figure pas sur des papiers de
l'administration. Après avoir hurlé une bonne partie de la nuit pour chasser de mon corps l'énorme
quantité de haine et de souffrance qui s'y était accumulée, je me dirigeais vers l'écurie pour
m'allonger sur un tas de paille où je m'endormis, épuisé et anéanti par un énorme chagrin.
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Au petit matin, je me réveillais avec un mal de tête terrible et je m'enfuis de mon paradis perdu sans
regarder derrière moi. Un autre monde se dressait devant moi, j'allais devoir l'affronter comme un
homme. Je suis monter sur ma vieille bicyclette, et j'ai pédalé énergiquement pour m'éloigner de
mon village maudit que je ne voulais plus jamais revoir.
Je me rendis à la ferme de mon oncle, car ma mère lui avait téléphoné. Il devait m'employer dans
son exploitation afin de récupérer un emprunt d'argent.
A cette époque-là, je n'étais qu'un gamin presque chétif, un petit être sauvage perdu dans une vie
que je n'avais pas choisie et que je méprisais ardemment. Pendant trois mois, j'ai dus biner et
arracher les mauvaises herbes qui étouffaient les plans de fraisiers. Ce travail pénible m'obligeais à
me plier en deux en avançant sur des rangs qui me paraissaient interminables.
J'ai biné, du matin au soir. Mon jeune corps n'était pas habitué à ce genre d'exercice physique, mes
petits muscles se nouaient, se tordaient, j'avais mal. Je dus travailler dur et sans aucun espoir de
recevoir le moindre petit salaire. Je me suis lassé de la rudesse de cette vie de paysan. Des fermiers
du village me recevaient chez eux le dimanche, car ils avaient pitié de moi. Leurs femmes et leurs
filles aimaient que je raconte mon jeune passé.
Pour eux, des petits bâtards de la noblesse, on en trouvait fréquemment dans ces petits villages, là
où il y avaient des châteaux. Les jeunes nobles vigoureux et oisifs aimaient coucher avec leurs
femmes de chambre ou leurs servantes. Quand celles-ci ne leur plaisaient plus, ils n'hésitaient pas à
les jeter comme des malpropres. L'histoire de cette vie que je menais,
cela intrigua la fille de la ferme qui était proche de celle de son oncle.
Elle s'appelait Françoise, elle devint mon premier amour. Elle me dit que je n'étais pas obligé de
travailler dans l'exploitation de mon oncle, car aucun contrat de travail n'avait été rédigé entre nous.
Dans cette ferme on me retenait contre mon gré. Un matin profitant de l'absence de mon oncle et de
ma tante je me suis enfuis de cette ferme.
J'avais du quitter ma mère qui me chassa de sa vie, en me disant que je n'étais qu'un enfant perdu, je
quittais ce travail car je ne voulais plus avoir affaire avec aucun membre de ma famille. J'ai quitté la
ferme de mon oncle en me disant que les enfants perdus ne devaient plus avoir de famille. En
quittant cette ferme et ce petit village, je devins un enfant errant
et un jeune clochard.
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A l'école de mon village, je n'avais pu suivre l'enseignement du maître. C'était un homme rude qui
me terrorisait et ne cessait de m' infliger des punitions et des châtiments corporels. Je ne me sentait
pas apte à être formé convenablement pour apprendre un bon métier. De nouveau, je me sentis
comme écrasé et agonissant sous une énorme charge. J'ai quitté la
campagne pour aller vivre en ville, tout en espérant que les gens y seraient plus gentils et plus
civilisés que dans le village où j'y avais passé toute la période mon enfance.
Mes premiers pas dans la ville ne furent pas très brillants, j' étais sale et très mal vêtu. Dans cette
ville pour ne pas mourir de faim, je dus voler et mendier, un peu de nourriture et quelques sous. La
nuit pour dormir, je recherchais des voitures ou des maisons abandonnées. Pour ne pas m'enfoncer
dans cette vie d'errance, je me mis à la recherche d'un emploi. Mais ne sachant quoi faire pour
gagner ma vie, j'ai décidé de rendre visite à des patrons boulangers pour leur demander de
l'embauche comme aide livreur de pains ou apprenti boulanger.
Après de nombreuses démarches sans succès, je trouvais enfin un employeur. Un artisan boulanger
me prit en pitié et m'engagea à l'essai. Dans ce deuxième emploi de ma jeune carrière de travailleur,
je ne tins pas plus de deux semaines. Le matin, je devais me lever très tôt pour aider au fournil, où
le chef boulanger m' ordonnait de peser la pâte pour faire le pain. Quand les pains et les croissants
étaient cuits je chargeais la camionnette. Dès que j'avais terminé, on m' offrait pour mon petit déjeuner :
un bol de café noir avec des croissants rassis, des invendus de la veille.
Quand j'entendais le klaxon de la camionnette, aussitôt je partais en livraison avec le patron. Il avait
des dizaines de clients à livrer, et je devais retenir les noms des clients, ainsi que la quantité de pains
et de croissants qui leur étaient destinés. Je mélangeais les noms et les quantités, et mon patron se
mettait en colère ; il m'insultait, me donnait des coups de pieds au derrière en le traitant de fainéant
et de bâtard. Je dormais dans une vieille réserve à farine où des rats venaient la nuit me mordiller les
jambes et les bras.
Je ne pouvais pas dormir convenablement, je ne pouvais pas me concentrer sur mon travail. Très
vite, je redevins un chômeur et un clochard errant. Les jours et les semaines passèrent, j' allais de
patrons en patrons, en travaillant de plus en plus dur, sans jamais voir venir de véritables salaires.
Mes jour de repos, je les passais à me promener dans les rues de la ville, où je déambulais, toujours
sale et mal vêtu, arborant un visage d'adolescent mal dans sa peau, souffrant d'un immense mal de
vivre. J'éprouvais des difficultés pour communiquer avec les jeunes de mon âge, et on devinait que
j'avais honte de ma condition sociale.
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Souvent, je me réfugiais dans les quartiers où régnait la grande pauvreté, et dans ces endroits là je
m'y sentait un peu comme chez moi. Je pensais que je devais faire un effort et tenter de faire
connaissance avec des jeunes de mon âge. Après plus d'une année passée dans cette petite ville
proche de Paris, je m'enhardit et commençais à avoir confiance en moi. Je me mis à fréquenter les
salles de sports de la ville afin de muscler mon corps de gamin chétif, car je pensais que je devais
me méfier de cette société qui semblait vouloir me détruire.
Au début des années soixante, des immeubles que l'on construisait pour les ouvriers d'usines,
surgissaient de terre, par dizaines, aux alentours des villes. On y voyait arriver des familles, qui,
pour la plupart sortaient des quartiers vétustes. On s'empressait aussi de détruire ces bidonvilles qui
enlaidissaient les abords des villes. On le faisait pour prouver aux riches
bourgeois que les gouvernants s'occupaient bien des pauvres. Ces pauvres gens venaient s'entasser
dans ces cités dortoirs avec leurs nombreux enfants : des gamins et gamines mal habillés, qui
dégageaient encore une certaine odeur de misère et d'enfants non désirés et mal aimés.
Je me sentais attiré par ces gens qui semblaient émerveillés d'entrer dans ces immeubles tout neufs
et dotés de confort. Cela était nouveau pour eux, ils pensaient pénétrer dans un petit paradis, car ils
n'avaient jamais goutté au plaisir de se laver dans une salle de bains. Ils amenaient avec eux leurs
meubles crasseux, qui étaient souvent rafistolés avec des morceaux de planches, clouées autour afin
de consolider l'ensemble. Pour les appareils électroménagers, ils n'en avaient pas encore car leur
maigre salaire ne leur permettait pas ce luxe qui était réservé aux bourgeois.
Souvent, quand j'avais un peu de temps libre, je venais les aider à emménager dans leur nouvelle
demeure, je tentais de me trouver une nouvelle famille, je recherchais dans cette misère un peu de
chaleur humaine. En guise de remerciement, ils m'invitaient à rester chez eux pendant une semaine.
Mais très souvent je partais le deuxième jour, parce que l'ambiance
devenait très vite insupportable.
Ces pauvres gens furent très vite déçus de ces immeubles baptisés "cages à poules" où l'on entendait
parler son voisin, pleurer les bébés la nuit, et tous les bruits désagréables qui devenaient très vite
insupportables; ils rongeaient les nerfs des pauvres locataires. Ces pauvres ouvriers, on les avait
entassés là, dans ces cités dortoirs, comme du bétail. On avait construit ces immeubles sans trop se
soucier de leur réel bien-être.
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Dans les milieux des dirigeants, on devait penser que c'était bien assez pour cette racaille de
prolétaires. L'abbé Pierre les avait suppliés de construire rapidement, afin que des enfants ne
meurent plus de froid l'hiver dans des baraques sans confort. Ils avaient chaud dans leurs belles
boîtes de béton, et que pouvait-on leur offrir de plus?
De 1960 à 1962, j'ai travaillé comme manoeuvre maçon, j'ai aidé à construire ces parcs à ouvriers.
Nombreux étaient ces gens qui venaient de la campagne où la terre ne nourrissait plus les ouvriers
de fermes, parce que le progrès était passé par là, détruisant beaucoup d'emplois sur son passage.
Dans cette ville dans cette ville j'ai rencontré mon deuxième amour, la belle Josiane qui me fit
connaître l'amour. Arrivé à l'âge de dix sept ans, je devins prématurément un homme mûr. Le sport
me muscla et endurcit mon corps et mon esprit qui n'étaient pas armés pour affronter cette vie
austère et âpre. Mais avec cette force de caractère et cette volonté de vaincre, je ne réussissais pas à
sortir de ma misérable condition d'ouvrier sans métier qui me collait à la peau.
Pourtant à cette époque-là, je travaillais très dur : plus de soixante heures par semaine. Je n'étais que
le larbin des compagnons maçons qui me tuaient à la tâche. Trois longues et rudes années
s'écoulèrent, et je n'avais pas tenté une seule fois de revoir ma mère. Je pensais que c'était quand
même ma mère, la source de ma vie, et pour cela je ne pouvais la renier indéfiniment.
J'ai tenté de la revoir en espérant qu'en me voyant devenu un petit homme, elle daignerait enfin me
prendre dans ses bras et m'embrasser au moins une fois dans sa vie pour me prouver qu'elle
m'aimait un tout petit peu. Ce minuscule petit brin d'amour, cela m'aurait comblé de bonheur.
Dans mon petit village, seul le curé pouvait me donner de ses nouvelles, parce qu'elle ne restait pas
trois jours sans lui rendre une petite visite.
Je n'ai jamais su si ma mère croyait en Dieu, je savais qu'elle allait souvent à l'église pour prier afin
de se faire pardonner ses nombreux péchés qui devaient probablement lui encombrer l'esprit. Le
curé put m'apprendre qu'elle avait quitté le village, elle vivait en Suisse. Là-bas, elle se faisait
appeler " Madame la baronne, Ferdinande de Tilly".
Ma mère avait dû négocier sa part d'héritage avec le frère du comte de Monchavet, et pour que je ne
puisse pas la récupérer, elle ne m'a jamais permis de lire les documents que lui avait remis le comte
avant sa mort. Quant au notaire, celui-ci refusera à trois reprises de me recevoir, afin que je
m'informe de ce qui devait légalement me revenir de droit.
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Ma mère emmena avec elle les trois derniers enfants qui lui restait à élever et qui avaient moins de
quatorze ans. Elle les prit avec elle, parce que le curé la supplia de le faire, car son intention était de
les placer dans une institution religieuse, et les abandonner en laissant une importante somme
d'argent.
Le curé m'avoua que ma mère était une femme très tourmentée, elle souffrait d'un mal terrible et
incurable. Elle se ruinait la santé en buvant plus que de raison et elle avalait des médicaments qui la
plongeaient fréquemment dans un état second et
comateux.
Je suis devenu un beau et séduisant jeune homme, mais personne ne pouvait m'aider à récupérer
mon titre de Comte, et cette fortune insaisissable que mon père m' avait officiellement légué avant
de mourir. Durant ces deux mois avant la mort de mon père, à aucun moment je n'avais pensé à
cette succession, parce que j'étais bien trop occupé à vouloir soigner mon pauvre papa qui était
physiquement dans un triste état.
Le notaire venait nous voir, et mon père parlait et promettait beaucoup de choses en sa présence. Ce
qu'on disait et promettait pour mon avenir, je n'y prêtais pas vraiment attention. Pour récupérer mon
bien, j'ai sollicité l'intervention d'un avocat afin qu'il défende mes intérêts. Hélas!. Cet homme de loi
ne pu récupérer la part d'héritage que ma mère m' avait probablement dérobé. Le notaire fut
poursuivit pour avoir détruit des documents écrits, que le comte avait dûment élaborés et signés,
puis fait remettre en main propre à ma mère.
Le notaire avoua au tribunal d'un air navré qu'il avait inconsciemment commis quelques petites
malversations sans grandes importances pour l'intéressé qui réclamait son dû. Celui-ci fut condamné
à verser une somme d'argent à titre de dommages et intérêts. Mais mon avocat s'en empara et
l'affaire sembla terminée pour toujours.
J'étais donc condamné à vivre sans fortune et sans titre de noblesse, et probablement jusqu'à la fin
de mes jours. Après avoir tenté de récupérer ce qui me revenait de droit et ayant échoué, je me suis
révolté et j'ai cessé de travailler. Sur les chantiers, je travaillais avec des jeunes de mon âge qui
habitaient dans les cités dortoirs aux abords de la ville.
Ces jeunes étaient tous des petits loubards, des blousons noirs qui ne faisaient de mal à personne. Je
devins très vite le chef de cette bande de loubards, parce que je n'avais pas l'intention de subir toute
ma vie les injustices que la société semblait vouloir m' infliger à outrance. Ma mère, la mouise, la
société, et tous ceux qui possédaient un brin de pouvoir, je pensais que tout ce monde là voulait
m'anéantir parce que je n'étais qu'un sale petit bâtard.
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Je pensais qu'il n'y avait pas de place sur cette terre pour les gueux et les exclus de mon espèce. Je
devais me battre et me venger de toutes ces humiliations qu'on me servait chaque jour à très fortes
doses. Après avoir marché dans les rues de la ville, la tête et le dos courbé, en ayant honte de ma
condition sociale, je décidais de revêtir une tunique de voyou, de blouson noir. La société m'avait
écrasé et piétiné durant des années, je devais m'engager pour assouvir ma vengeance, je devais
passer à l'action.
J'étais bien armé et entouré de jeunes de mon âge et de la belle Josiane. Travailler honnêtement
faisait de nous des larbins mal payés, on nous exploitait. Ces jeunes qui avaient entre quatorze et dix
huit ans, leurs visages étaient un tantinet desséchés par la haine et le manque d'affection.
Le soir, ils rentraient chez eux pour y trouver un père qui avait trop bu et qui frappait leur mère. Ils
avaient en face d'eux, un lâche, un homme qui n'avait plus aucune autorité sur leurs enfants. Je
n'avais plus de parents et plus de famille pour me commander et se charger de mon éducation, j'étais
devenu le maître de mon destin et de ma vie d'errance.
Le samedi soir avec les jeunes de ma bande, on volait des voitures, on partait dans les villages de campagne, là où il y avait des fêtes. Nous déclenchions des bagarres pour nous défouler afin d'évacuer notre haine de la société. Dans ces voitures volées, nous dérobions tout ce qui
pouvait être vendu pour en tirer de
l'argent. Pour tuer le temps, on passait nos journées à déambuler dans les rues, on agressait les
passants, en particulier les riches bourgeois qui étaient bien vêtus et grassement nourris.
Ces nantis nous regardaient en laissant transparaître sur leurs visages une expression reflétant une
flamme de mépris et de dégoût envers cette jeunesse qu'ils rejetaient outrageusement.
La société
avait inconsciemment fabriqué des jeunes voyous comme nous, par dizaines et par centaines. On a
brisé et tué notre enfance, on nous a gavé le corps et l'esprit de haine et de souffrance.
Au début des années soixante, des enfants traînaient dans ces cités dortoirs fraîchement construites,
abandonnés à eux-mêmes. C'étaient des mal aimés et des enfants de parents divorcés, alcooliques et
illettrés. Ceux qui nous gouvernaient à cette époque, ne se souciaient guère du sort de ces pauvres
petits malheureux à qui l'on pourrissait la vie.
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Un jour un policier fut très gentil et très prévenant avec moi, il m'emmena au commissariat de
police pour m'interroger sur mes activités malhonnêtes. Après m'avoir fait la morale, il me relâcha
quelques heures plus tard. Je risquais de me faire enfermer dans une prison, ou être envoyé dans une
maison de correction, parce que je n'étais encore qu'un mineur sans domicile fixe. Des personnes
s'étaient plaintes de mes agissements malsains de petits voyous.
Le commissaire de police me garda chez lui plusieurs jours, il connaissait mon triste passé. Il
pensait que je n'était pas vraiment une graine de voyou que l'on devait à tout prix mettre sous les
verrous. Il savait que j'étais le fils du comte de Monchavet, le châtelain de son ancien village, qui
n'était plus de ce monde. Je pus revoir le fils du commissaire, qui avait un an de plus que moi. Il
venait de passer son bac et envisageait de faire des études de droit.
Ce jeune garçon m'accueillit très chaleureusement. Ce jeune homme que j'avais tant de fois humilié
dans mon enfance, simplement parce qu'il était un gamin de bourgeois. Dans la maison du
commissaire, je me sentis honteux et désarmé. J'avais osé voler et agresser des personnes. Le
policier m'ordonna de cesser immédiatement ma jeune carrière de voyou. Pour m'aider il me donna
de l'argent et me fit entrer dans un foyer de jeunes travailleurs dans la banlieue parisienne.
Il reconnut que la société avait une grande part de responsabilité dans ma vie aux chemins
tourmentés et parsemés d'injustices. Cet homme si généreux ne voulut pas m'encourager à me
venger comme je le faisais inconsciemment. Il parvint à me persuadé que mon comportement de
voyou représentait un grave danger pour ma vie.
Page 20 . Chapitre 1
Je dus quitter Josiane qui m'avait fait connaître l'amour. J'ai quitté cette petite ville où il n'y avait
aucun avenir pour moi. J'avais déchargé une grande quantité de violence sur une population aveugle
et sourde qui ne comprenait rien à mon mal de vivre. Pour tous ces gens, ces jeunes voyous n'étaient
que des enfants paumés et sauvages, la lie de la société,
des êtres nuisibles qu'il fallait exterminer sans pitié.
Ces gens étaient incapables de comprendre ce
qui nous arrivait, ni de percevoir le mal qui rongeait nos corps aigris d'adolescents.
Pour ces gens je n'étais qu'un jeune parasite que la société devait s'empresser de détruire. J'ai quitté
cette ville, après y avoir vécu comme un parasite et un être profondément nuisible. J'avais revêtu
une tunique de voyou pour afficher ma haine envers des hommes mauvais et des pères de famille
qui n'aimaient pas leurs enfants et qui n'avaient aucun respect envers leurs femmes.
J'avais revêtu cette tunique noire pour narguer les exploiteurs d'ouvriers ; ceux qui abusaient de la
vulnérabilité des jeunes enfants qui arrivaient sur le marché du travail dès l'âge de quatorze ans, et
qui honteusement et abusivement les faisaient trimer sans les payer, ou si peu. Je haïssais ces gens
ignobles, je voulais qu'ils sachent que ma tunique noire me donnait le courage de leur cracher au
visage et d'aller les voler dans leurs entreprises où j'avais travaillé et souffert.
Je me disais souvent que je n'étais qu'un cancre et un bon à rien, parce que j'avais passé toute mon
enfance dans ce petit village, dans cet univers lugubres où rampaient les défavorisés, comme mes
parents qui m'avaient élevés et me détestaient. Je n'avais que dix sept ans et mon corps était couvert
d'énormes blessures invisibles, je me retrouvais encore seul, désemparé, désespéré et abandonné.
Avec ma bande de petits loubards, j'avais créé une famille : c'étaient des jeunes loups blessés qui se
battaient pour ne pas être dévorés par cette société inhumaine. J'avais mis ces jeunes paumés sous
mon aile protectrice, je les protégeais du mieux que je le pouvais. Très souvent, je les emmenais
dans les petites forêts qui appartenaient à mon père, le comte de Monchauvet. Je leur apprenais à
hurler à la mort.
http://norbertettonia.e-monsite.com/pages/roman-pages-de-21-a-30.html
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